mardi 4 avril 2023

Sainte-Geneviève-des Bois (Pilou le 04/04/2023)

Photo J. Fillis

Photos du jour.
C'est d'un très beau temps ensoleillé que la quarantaine de randonneurs que nous sommes aujourd'hui va profiter pour une courte rando d'un peu plus de huit kilomètres entre Fleury-Mérogis et Sainte-Geneviève-des-Bois.

Nous nous sommes garés sur le grand parking du stade Walter-Felder pour rapidement rejoindre les sentiers du "Bois des Trous et des Joncs Marins" qui s'étend entre les deux communes. Grand de 76 hectares, ce bois est composé, principalement de chênes et châtaigniers. Il représente un lieu d’accueil privilégié pour les Génovéfains et les Floriacumois qui viennent volontiers s'y ressourcer. Il est géré durablement par l’Office national des forêts avec un objectif prioritaire d’accueil du public. L'exploitation de la pierre meulière, autrefois très utilisée dans la construction, a considérablement modifié l'aspect du relief de ces bois marqué par de nombreuses excavations d'où le nom "Bois des Trous".

Nous sortons de la forêt pour entrer dans Sainte-Geneviève, passons devant l'exposition de pierres tombales des Pompes Funèbres puis pénétrons dans le célèbre cimetière communal connu pour être la plus grande nécropole russe au monde à l'extérieur des frontières de la Russie.

Le cimetière russe.
Le cimetière communal est appelé "Cimetière Russe" car il accueille, sur près de deux tiers de sa surface, plus de 5200 tombes russes qui abritent ou ont abrité les dépouilles de près de 15000 russes depuis que ne fut mis en terre en ce lieu le tout premier russe décédé dans la commune.
Après l'instauration du pouvoir bolchévique en 1917, environ deux millions de Russes blancs ont fui leur pays. Nobles, militaires, intellectuels, hommes d’Église... Les opposants à la Russie soviétique, connus ou anonymes, ont été quelques centaines de milliers à s’installer en Île-de-France, choix motivé par la proximité culturelle,  à l’époque,  entre russes et français. En 1927, une maison de retraite pour réfugiés russes s'installe à Sainte-Geneviève sous la direction de la princesse Vera Mestchersky.

Photo J. Fillis
Les pensionnaires décédés trouveront naturellement place dans le petit cimetière communal où la municipalité décide d’aménager spécialement un carré russe. Les Russes se sont très vite appropriés ce lieu et des personnalités russes installées aux quatre coins de la France ont commencé à être enterrées ici. Ces russes enterrés à Sainte Geneviève sont majoritairement issus de la classe des russes 'blancs' fuyant la révolution bolchévique. Cependant, on y trouve aussi des russes 'rouges' qui eux avaient fui, quelques années auparavant, la terrible répression tsariste des soulèvements de 1905. Sont aussi représentés les personnalités issus de la troisième vague migratoire faisant suite au conflit russo-allemand durant la seconde Guerre Mondiale. On y trouve enfin de nombreux descendants des représentants de ces trois vagues.  Ainsi le carré russe constitue l'ultime demeure de personnalités venant soit du monde politique comme les petits fils du Tsar Nicolas 1er , soit du monde de la littérature comme le prix Nobel Ivan Bounine ou le petit fils de Tolstoï, soit du monde de la danse comme le chorégraphe Serge Lifar ou le danseur Noureev, soit des mondes de la peinture, de la sculpture, du cinéma ou du théâtre comme le réalisateur Andreï Tarakovski, comme les deux sœurs de Marina Vladi : Odile Versois et Militza Poliakoff, ou comme l'animateur Patrick Topaloff (auteur émérite de l'inénarrable chanson 'J'ai bien mangé, j'ai bien bu' où il est question, entre autre facétie, de la petite "Thérèse qui rit quand... elle cueille des fraises"). 
Certains espaces sont consacrés aux militaires ou à des aspects particuliers de la migration comme le 'Carré des Taxis' qui rend hommage aux aristocrates russes émigrés reconvertis dans cette noble profession de chauffeur de taxi. (L'expression 'faire la tournée des Grands Ducs' est née de cette époque ou les parisiens s'amusaient à utiliser les services de cette noblesse reconvertie pour leur pérégrination dans la capitale.).
Nous nous sommes regroupés devant la petite chapelle orthodoxe pour entendre quelques réponses à nos questions novices sur les thématiques autour de la religion orthodoxe :
  • Ce qui différencie principalement le christianisme d'Orient du catholicisme tient au schisme de 1054  qui préfigure la rupture entre le patriarcat d'Occident (Papauté) et le patriarcat de Constantinople.  En 1204, lors de la quatrième croisade, le sac de Constantinople par les croisés consomme la rupture irréconciliable pour longtemps entre les deux mondes.
  • La croix russe orthodoxe omniprésente  dans le cimetière est quelque peu différente de la croix latine catholique qui nous est plus coutumière :
    Une petite barre latérale au dessus de la barre principale rappelle le panneau railleur que les romains avaient installé au dessus de la croix du Christ portant la mention 'INRI' (Iesvs Nazarenvs, Rex Ivdæorvm = Jésus Roi des Juifs"). Ces tortionnaires goguenards ne pouvaient évidemment pas imaginer que ce qu'il tenaient pour moquerie deviendrait un élément fondateur de la religion naissante qui allait s'imposer à travers le monde entier. Au niveau des pieds du Christ, la croix russe présente une petite traverse inclinée. En effet, dans la tradition orthodoxe, les pieds des crucifiés se côtoient et ne se croisent pas. L'obliquité de cette barre est aussi une référence aux deux Larrons mis en croix  avec Jésus. Le Bon Larron crucifié à droite du Christ et le Mauvais Larron crucifié à  sa gauche. Tandis que le Mauvais Larron, sur sa croix, continuait à insulter et à se moquer de Jésus, Dismas, le Bon Larron, se repentait et admettait mériter son triste sort, recevant du Christ la promesse de le rejoindre au Paradis. Dismas incarne ainsi la vertu de la repentance et possède le statut de Saint pour les chrétiens. Ces croix russes sont parfois en bois présentant un Christ finement sculpté ; on appelle ces croix sculptées 'Croix Byzantines'. Elles peuvent également être 🔰tréflées et présenter des formes trilobées à leurs extrémités.
  • Le 🔰dôme bleu en forme de bulbe d'oignon qui domine la petite église appartient aussi à la symbolique orthodoxe. La forme évoque la flamme d'une bougie et illustre la prière et l'exaltation vers le ciel. La couleur bleue est une référence à la Vierge Marie. La couleur or, très fréquente dans les pays de l'Est, symbolise l'Éternité,  et la couleur verte représente l'Esprit Saint. 
La magnifique tombe du célèbre danseur et chorégraphe Rudolf Noureev.
La mosaïque évoque la forme d'un tombeau qui serait entièrement recouvert par un somptueux kilim. 

Alors que nous déambulons dans le cimetière, identifiant, ici et là, quelques célébrités en leur dernière demeure, nous remarquons le mauvais état de certaines tombes envahies par la végétation, voire 🔰soulevées et brisées par les racines superficielles des arbres plantés en nombre dans les allées. Une polémique liée à la guerre en Ukraine a récemment opposé la Mairie de Sainte-Geneviève à l'ambassadeur de Russie, ce dernier affirmant que la municipalité nourrissait le projet néfaste de relever l'essentiel des tombes russes. Il n'en est évidemment rien et la Mairie a vivement réaffirmé son attachement à l'inestimable patrimoine que représente le carré russe du cimetière. Cependant, la Mairie a souligné que la suspension (provisoire?) de l'attribution par la Russie d'une subvention de deux millions d'euros pour l'entretien des tombes posait de réels problèmes car si l'entretien des parties communes du cimetière revient de fait au service municipal, il n'en est pas de même pour l'entretien privatif des tombes qui incombe aux familles qui, jusqu'à l'entrée en guerre contre l'Ukraine, étaient généreusement suppléées par le financement de l'État  Russe.

Le Parc Pierre.
Photo J. Fillis
Nous sortons du cimetière par sa porte nord, traversons l'immense parking qui a accueilli jusqu'à six cars de touristes russes par jour avant l'accalmie liée à l'épisode du Covid prolongée aujourd'hui par la paralysie issue du conflit russo-ukrainien. Nous passons devant l'important Centre Nautique de la ville et pénétrons dans le Parc Pierre
Au lieu-dit du "parc Pierre", ancien hameau de Sainte-Geneviève-des-Bois se dressait une belle et grande demeure du XIXe siècle pompeusement appelée 'le Château' et  entourée d'un beau parc arboré de dix hectares.  En 1973, la municipalité décida l'acquisition des lieux afin de préserver ce remarquable espace naturel et d'en faire un lieu de détente et de loisirs.  Le Château fut restauré en 1985 pour abriter les enfants du Centre Aéré. En 1986, la ferme et le parc animalier furent ouverts au public. Nous traversons les aires de jeu, nous nous attardons devant la façade bourgeoise de la grande demeure  puis rejoignons l'espace animalier. Un 🔰cochon tout en embonpoint se promène dans sa bauge tandis qu'un second, remarquable par son pelage laineux, se prélasse au soleil. Nous dépassons l'espace où cohabitent chèvres et moutons puis marquons une pause pour converser avec les 🔰ânes du domaine (ceux-ci ayant rapidement identifié en nous une disponibilité avérée en matière d'âneries). Nous sortons du Parc par sa porte ouvrant sur la Rue F.H. Manhes que nous suivons pour rejoindre le site historique du magasin Carrefour.


Le magasin Carrefour de Sainte-Geneviève des Bois.
En 1959, avait ouvert à Reuil-Malmaison un premier supermarché français qui avec ses presque 500 m² reproduisait un modèle américain. Les chariots minuscules qui suscitaient alors l'étonnement voire la réprobation  étaient produits par la société Caddie qui s'était lancée dans l'aventure du chariot de libre-service dès 1958.
Cinq ans plus tard, en juin 1963, s'ouvre à Sainte-Geneviève une immense surface commerciale de près de 3000 m² avec parking adapté, caddies imposants, et station d'essence moderne. On peut s'y procurer à la fois son kilo de tomates, son entrecôte, ses chaussures et vêtements, et ses outils de bricolage, le tout à des prix défiants toute concurrence, de 15 à 20 % moins chers qu'ailleurs.  Pour l'inauguration, l'essence était proposée à 0,93 franc le litre (21 centimes d'euro : 100 fois moins cher que le litre de 2023).  Faire toutes ses courses et son plein en même temps, était totalement révolutionnaire. Le succès est tel qu'à l'ouverture,  le magasin dut fermer pendant quelques heures pour être réapprovisionné. 
Le Carrefour de Sainte-Geneviève, fondé par Marcel Fournier et les frères Jacques et Denis Defforey, n'est rien moins que le premier hypermarché au monde. C'est un événement considérable, qui va bouleverser le quotidien de millions de gens. 
Dix ans plus tard, en décembre 1973, la loi d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite "loi Royer" du nom du ministre du Commerce, limitera en partie l’extension des grandes surfaces. Le Carrefour de Sainte-Geneviève fêtera son soixantième anniversaire le 15 juin. Les 2300 hypers présents en France aujourd'hui ont beaucoup perdu de leur superbe et s’interrogent sur leur avenir. Les supermarchés à la surface beaucoup plus modeste semblent devenu le format le plus dynamique de la distribution française.
L’entreprise alsacienne Caddie connut aussi une réussite incontestable. Preuve en est que son nom est aujourd’hui utilisé pour désigner tous les types de chariots inspirés de ses modèles. Le mot 'caddie' est ainsi entré dans le langage courant, comme l'ont été les mots 'frigidaire' ou 'kleenex'. 
Cependant l’entreprise Caddie eut à subir deux redressements judiciaires, en 2012 puis en 2014, et dut finalement se déclarer en cessation de paiement le 3 janvier 2022. 😢

Le Donjon et la serre municipale.
Photo J. Fillis
Nous dépassons le parking de Carrefour et traversons la rue pour pénétrer dans le parc paysager du Donjon. Au milieu de cet espace remarquablement fleuri, se dresse un ensemble de bâtiments d’âges et de caractères différents, dominés par une grosse tour ronde, héritage médiéval, qui a donné son nom à l’ensemble. Cette tour a été classée monument historique en 1923 et constitue l'unique relique d'un château aujourd'hui disparu. Les bâtiments qui l’enveloppent (écurie et logements de la domesticité), les douves et le lavoir furent inscrits à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1961. Ces bâtiments abritent aujourd'hui la médiathèque François Mauriac.
Nous sortons de la petite cour pavée établie au centre des bâtiments, contournons la médiathèque et découvrons l'impressionnante serre municipale. On la dirait sortie d'un projet haussmannien ; elle est en réalité beaucoup plus récente. Exacte réplique d'un modèle canadien de Toronto, elle fut bâtie en  1973 par la société JC Decaux, spécialiste du mobilier urbain qui pour ce projet particulier s'appuya sur une équipe d'hommes de métier hautement qualifiés, formés dans la plus pure tradition des Compagnons du Devoir.  Son édification nécessita pas moins de 16 tonnes d’acier et 13 tonnes de verre.
Serre municipale

Retour vers Fleury-Mérogis.
 Nous quittons le petit parc du Donjon et nous nous enfonçons dans les quartiers pavillonnaires qui séparent le centre-ville des cités populaires qui caractérisent la zone péri-urbaine de la commune. Nous sommes frappés par le caractère paisible des lieux, la belle organisation des petits jardins particuliers, le soin apporté à l'aspect des pavillons,  la qualité de leur entretien. Plus loin, nous pénétrons sur des petits chemins qui circulent entre les barres d'immeubles. Là encore, on apprécie le bel entretien des pelouses communes, la belle harmonie du bâti. Une bonne qualité de vie semble avoir été préservée en ces quartiers quelque fois trop vite décriés. Nous pénétrons dans le couvert forestier du Bois des Trous que nous allons à nouveau arpenter pour rejoindre Fleury-Mérogis. Nous peinons à traverser la  D445 au trafic excessif par des passages-piétons protégés par des feux tricolores peu sensibles à nos appels à retarder le flot des voitures. C'est sur cette même D445, à quelques centaines de mètres de ces feux rébarbatifs, entre Fleury et Viry-Chatillon, à la hauteur de la Grande Borne, qu'eut lieu, le 8 octobre 2016, 🔰un infâme fait-divers qui défraya la chronique : un petit groupe de jeunes gens assaillait monstrueusement par le feu quatre policiers bloqués dans leur véhicule en proie aux flammes.
Nous contournons les terrains de sport du Stade Walter-Felder pour rejoindre nos véhicules et clôturer ainsi cette balade où tant était à (re)découvrir.


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