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Nous sommes une petite trentaine venue compléter ce flot pour un objectif qui n'a rien à voir avec ces nécessités besogneuses puisque nous sommes venus dans ces beaux quartiers, pour suivre Marie et Jean-Jacques sur un réjouissant parcours touristique entre Passy, Auteuil et La Muette dans le célèbre ghetto des Inconnus ("Auteuil, Neuilly, Passy c'est pas du gâteau. Auteuil, Neuilly, Passy tel est notre ghetto...").
Nous visiterons Passy en matinée puis rejoindrons la Porte d'Auteuil où un déjeuner nous attend. Nous consacrerons l'après midi à la visite des Jardins d'Auteuil puis emprunterons le sentier conservé sur l'ancienne ligne de la Petite Ceinture pour rejoindre la station de Métro "La Muette". Marie et Jean-Jacques, notre authentique parisien d'origine qui connaît cette ville comme sa poche, ont préparé une abondante documentation sur l'histoire, l'architecture, les arts et la vie dans ces quartiers.
Un peu d'histoire.
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En 1638 est découverte une source tout près de cette courette. L’abbé Le Ragois, découvre plusieurs autres sources à proximité et décide de les exploiter pour leurs vertus minérales. Il crée un grand établissement avec salles de jeux, de bal, théâtre, jardins, et même un restaurant où les médecins étaient servis gratuitement. C’est un grand succès ; bourgeois de Paris et aristocrates se précipitent. On y verra Rousseau, Benjamin Franklin, …
À la fin du XIXe siècle, la baronne Bartholdi, héritière des Delessert, décide généreusement de ne plus faire payer cette eau si précieuse pour les curistes ; hélas il semble bien que la suppression du prix entraîne la perte de toutes les vertus de ces eaux, et l’établissement ferme bientôt. Par la suite les sources tarirent.
La Rue Charles Dickens nous mène dans le Parc de Passy. L'industriel Benjamin Delessert possédait ce parc à côté duquel il avait installé une raffinerie de sucre qui venait compléter ses revenus liés à l'exploitation des eaux. Il ne reste rien de tout cela aujourd'hui.
Le parc, réaménagé et loti sur ses bords en 2004 présente une grande allée d'arches fleuries, avec au centre une pelouse. Le jardin des haies et le jardin des fougères agrémentent l'ensemble. Il dispose d'une aire de jeux de 200 m2 pour les enfants. Les beaux bâtiments de 2004 qui entourent le parc sont manifestement destinés à une population aisée.
Jean-Jacques profite de la sérénité des lieux pour nous parler de l'histoire de cet arrondissement réputé être un "ghetto de riches". Dès 1795, Paris est divisée en 12 arrondissements soient neuf arrondissements sur la Rive droite et trois sur la Rive gauche. Cette répartition perdure jusqu'en 1860, où l'annexion des faubourgs entraîne une refonte totale.
L'actuel 16éme séparé de Paris par le Mur des Fermiers Généraux est annexé et ce mur d'enceinte est détruit. Cette circonscription occidentale englobant Passy et Auteuil doit donc devenir le treizième arrondissement suivant l'ordre géographique utilisé alors. Mais la population va vivement s'opposer à cette nomenclature. Un expression populaire est à l'origine de ce désamour pour ce nombre 13 : on disait ironiquement des personnes qui vivaient en concubinage qu'elles "s'étaient mariées à la Mairie du 13éme", cette mairie n'existant pas. Ainsi, les habitants de ces riches quartiers, catholiques traditionnalistes, ne voulaient pas de cette nomenclature avilissante associée à la pratique honteusement coupable du concubinage. La pression fut telle qu'on reconsidéra tout le découpage et imposa l'actuelle configuration qui partant du centre administratif de la ville dispose les arrondissements en suivant une spirale du premier au 20ème. C'est un secteur populaire aucunement vindicatif qui deviendra le 13ème arrondissement, Passy et Auteuil formant le 16ème.Le 16ème arrondissement garde une image du « ghetto de riches », où la grande bourgeoisie cultive l'entre-soi et la clôture sociale comme les nombreuses voies privées, souvent fermées de grilles et parfois soumises à un gardiennage strict, tendent à le démontrer. La Villa Montmorency près de laquelle nous allons passer compte ainsi une centaine de maisons distribuées sur six avenues totalement privées ; là résident plusieurs personnalités du show-business, du monde politique et des affaires. Jean-Jacques précise que s'il est vrai que le revenu médian, dans le 16ème, est beaucoup plus élevé que celui de la France, le patrimoine moyen des redevables à l'ISF est désormais moins élevé dans cet arrondissement que dans le 7ème, le 8éme arrondissement et Neuilly-sur-Seine où les phénomènes de gentrification s'exacerbent au delà de l'étape de boboïsation par le remplacement progressif des classes aisées elles-mêmes par la classe dirigeante industrielle et financière.
Nous poursuivons dans la Rue d'Ankara qui doit son nom au fait que l'ambassade de Turquie se trouve dans une artère adjacente. Jean-Jacques nous conte une anecdote surprenante sur la vie agitée du poète Gérard de Nerval. Le docteur Blanche avait installé, ici, sa maison de santé et y hébergea Gérard de Nerval qui à la suite d’une déception amoureuse avec la comédienne Jenny Colon, avait sombré définitivement dans la déraison. à tel point qu'on l'aperçut en train de promener un homard, tenu en laisse, dans les très animés jardins du Palais royal. Nous pouvons imaginer l’étonnement et les sarcasmes des promeneurs à la vue de cette scène. Pour s’en expliquer, notre ami des crustacés dira : "En quoi un homard est-il plus ridicule qu’un chien, qu’un chat, qu’une gazelle, qu’un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ."
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Nous franchissons un étroit passage entre deux murs pour rejoindre la Rue Berton et marquons un arrêt devant un portail vert. Jean-Jacques nous explique que Honoré de Balzac, romancier de génie, était un bien piètre homme d’affaire très dépensier et toujours endetté. C'est par ce portail dérobé qu'il s'enfuyait pour échapper aux créanciers venus le visiter dans la jolie maison dont l’entrée principale est située plus haut au n°47 rue Raynouard. Un escalier permet d'atteindre cette rue haute. Au 47, c'est désormais le musée consacré à Balzac qui s'ouvre aux visiteurs. Depuis la rue, on a un intéressant point de vue sur la jolie maison de l'écrivain en contre-bas. Au delà, on aperçoit la Tour Eiffel qui domine le paysage. Balzac est resté dans ce décor jusqu’en 1847; il y a écrit plusieurs romans de son immense "Comédie humaine".
Un peu d'architecture.
Immédiatement, à côté du Musée de la Maison Balzac, se dresse le bâtiment Auguste Perret. L’architecte vécut dans cet immeuble de 1932 à sa mort en 1954. Perret, premier architecte à saisir l'intérêt constructif du béton armé est toujours resté attaché à ce matériau à la fois économique et robuste. Il posa quelques principes comme le "style sans ornement". On lui doit notamment la reconstruction du centre-ville du Havre.
Nous descendons la rue Raynouard, admirons les beaux bâtiment haussmanniens qui l'encadrent. Nous marquons un arrêt au niveau du n°1 rue des Marronniers pour découvrir une plaque sur un immeuble indiquant : "Ici s'élevait le château de Passy, demeure de Le Riche de La Pouplinière, Seigneur de Saint-Vrain, écuyer, secrétaire, mousquetaire du Roy, fermier général, 1693-1762."
Ce Château de la Seigneurerie de Passy, également appelé Château de Boulainvilliers s'élevait au cœur d'un vaste domaine qui s'étendait depuis la Seine jusqu'à l'actuelle avenue Mozart. Il fut détruit en 1825.
Nous parvenons au carrefour de la Rue du Ranelagh d'où on peut observer l'immense structure circulaire de la Maison de la Radio et de la Musique, surnommée Maison de la Radio , parfois "maison ronde" , et successivement appelée par le passé "Maison de la RTF", "Maison de l'ORTF"» puis "Maison de Radio France". C'est un bâtiment circulaire conçu par l’architecte Henry Bernard en 1963, constitué d'une couronne de 500 mètres de circonférence et, en son centre, d'une tour de 68 mètres de hauteur. Il abrite 1000 bureaux et 63 studios d'enregistrements, Depuis 2014, la maison dispose d'un auditorium de 1 461 places et d'une salle de concert symphonique de 856 places, appelée "salle Olivier Messiaen".
Henri Bernard a construit ici quai de Passy, le bâtiment public le plus important jamais édifié à Paris depuis la guerre, avec un souci de fonctionnalisme poussé à l'extrême, utilisant des matériaux nobles, valables par leur simple apparence et capables de résister à la terrible corrosion de l'atmosphère parisienne, de l'aluminium oxydé, du verre, de la mosaïque...le tout reposant sur 756 piliers qui plongent à 17 mètres au-dessous du niveau de la Seine. Les 100 000 m2 bénéficient d'un forage de 600 mètres de profondeur, permettant de se chauffer grâce à l'énergie géothermique. Christian m'explique qu'à l'époque le rejet des eaux de chauffage vers la Seine était autorisé. Depuis un système recycle ces eaux en circuit fermé.
Jean-Jacques rappelle qu'en 1963, le bureau situé au sommet de la tour centrale, au 22ème étage, était dédié au ministère de l'Information. Le ministère idéalement placé pouvait exercer sa tutelle, voire parfois sa censure, sur les chaînes d'information. En 1968, l’ORTF, associé à "La voix de son maître" où gouvernement et police ne font plus qu’un, est pris à partie, ses voitures de reportage sont parfois lapidées, des intellectuels refusent de participer aux interviews demandées. Pourtant, la plus grande partie du personnel de l’ORTF est aussi en grève et participe à la fameuse manifestation où l’on scande « Libérez l’information ! » . Une loi du 7 août 1974 prononcera la dissolution de l’ORTF. Le "bureau de la censure" aura tenu 11 ans.
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Nous retrouvons, un peu plus loin des bâtiments du même architecte, construits postérieurement. Ici, c'en est presque fini des fantaisies de l'Art Nouveau. Les lignes sobres propres à l'Art Déco s'imposent même si les courbes des balconnières subsistent sur ces magnifiques façades. On change d'époque et peut-être de moyens budgétaires : les fioritures fantaisistes de l'Art Nouveau font place à la sobriété linéaire de l'Art Déco. Plus loin, Avenue du Recteur Poincaré, ce sont de beaux bâtiments dans ce style Art Déco que nous allons rencontrer. Nous arriverons ainsi Place Rodin, au milieu de laquelle s'élève une 🔰petite statue en bronze d’Auguste Rodin, intitulée "L'Âge d'airain" Elle est la première statue en bronze d'Auguste Rodin datant de 1877.
Nous sommes ici sur des terres qui appartenaient au couvent des religieuses de l'Assomption sur le site du château de la Tuilerie démoli en 1927.
Nous arrivons devant les grilles de 🔰l'Église Notre-Dame-de-l'Assomption de Passy dont on aperçoit le 🔰petit campanile surmontant un dôme massif.
Nous pénétrons dans la courette sur laquelle s'ouvre l'église et ses jardins.
De style néo-classique, l'église de Notre-Dame de l'Assomption possède une très belle coupole à la croisée des deux nefs. Nous sommes surpris par les 🔰voilages violets qui couvrent les croix et les statues dissimulant les œuvres. Cette pratique n'est pas observée dans toutes les églises et même, les plus concernés d'entre-nous par la vie paroissiale disent en ignorer la tradition. Madame Google sollicitée nous apprend que " les croix et les statues doivent être voilées le cinquième dimanche de Carême avec une étoffe rouge ou violette. L'objectif est d'arrêter le culte des saints pour se concentrer seulement sur le Christ faisant route vers sa Passion. Ce voilement est une méditation sur le mystère de la Foi."
Ici, on observe une application très stricte de la règle puisque même dans le petit jardin, les statues sont couvertes d'étoffe rouge.
Nous nous enfonçons maintenant dans la Rue Mallet Stevens. Cette courte voie en impasse est célèbre pour être bordée de bâtiments en ciment armé, tous conçus, à l'origine, par Robert Mallet-Stevens. La rue fut inaugurée en 1927. L'Excelsior assure le reportage photographique de l'événement et titre « Le triomphe de la ligne droite ». Cette architecture cubique semble parfaitement contemporaine. Difficile d'imaginer qu'elle date de près d'un siècle.
Ceux d'entre nous qui ont eu la chance de participer à notre séjour à Carqueiranne se rappellent sans doute de la 🔰Villa Noailles. Nous l'avions découverte lors d'une rando à Yerres-les-Palmiers. Elle est aussi une œuvre de Robert Mallet-Stevens.Et nous n'en aurons pas fini avec ces grands noms de l'architecture puisque un peu plus loin, nous allons entrer dans la petite voie privée "Square du Docteur Blanche" au bout de laquelle se dresse la 🔰Maison La Roche que l'on doit à Le Corbusier. C'est une belle résidence dans le style moderniste classique de 1925 que l'on peut visiter pour la modeste somme de 10€. Elle abrite la fondation consacrée à l'architecte suisse, créateur de la Cité Radieuse à Marseille. Jean-Jacques nous présente un 🔰projet de reconstruction des quartiers du centre de la Capitale conçu par Le Corbusier. La symétrie glaciale des perspectives nous invite à saluer vivement la décision de rejet de ce projet funeste et à réapprécier le bonheur qu'il y a à flâner dans nos vieux quartiers pleins de charme.
Nous nous payons un petit détour dans la Rue Mozart jusqu'à la 🔰Villa Flore, ainsi nommée d'après le prénom de la femme du propriétaire des terrains, Flore Brégère. Ce détour vaut pour la qualité architecturale des magnifiques bâtiments de cette voie. On les doit à Hector Guimard qui, ici, a considérablement allégé le style adopté au Castel Béranger pour choisir les lignes plus sobres de l'Art Déco. On retrouve cependant la patte de Guimard dans les belles courbes des balcons soutenus par des corbeaux très travaillés comme l'est la ferronnerie de leur somptueux garde-corps.
Un peu de bistronomie.
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Le vin nous est servi. Rouge, blanc, rosé au choix. Je choisis le rouge qui devrait parfaitement accompagner la substantielle entrecôte de charolais parfaitement saignante qui repose dans mon assiette à côté d'une bonne part de frites maison.
Ma voisine qui n'est rien moins que mon épouse a préféré un filet de bar accompagné d'une belle purée de vraies pommes de terre. D'autres se sont régalés d'une appétissante volaille. Les desserts proposés, crème brûlée, tarte abricot ou tiramisu, couronneront notre repas dans ce même esprit fait d'une abondante simplicité. Il ne nous reste plus qu'à savourer un petit café bien serré avant de retrouver la Rue d'Auteuil qui va nous conduire à la Porte du même nom. On traverse le grand échangeur, on passe devant l'hippodrome. L'hippodrome d'Auteuil est le haut lieu français des courses d'obstacles (haies et steeple chase). Avec ses 33 hectares, il peut accueillir 40 000 spectateurs dont 5000 peuvent trouver des places assises dans la grande tribune. Les obstacles sont de plusieurs types ; le rail ditch and fence est certainement le plus impressionnant, avec son 1,60 m de haut et ses 4,10 m de large, qui lui valurent le surnom de "juge de paix".Un peu de botanique.
Nous voici parvenus devant les grilles du Square des Poètes. Nous entrons dans le jardin et marquons un arrêt devant un buste de Théophile Gautier pour écouter Marie nous donner quelques informations sur ce jardin : " Le jardin des Poètes est créé par la ville de Paris à l'initiative de Pascal Bonetti, président d'honneur de la Société des poètes français. Il est inauguré le 15 mai 1954. On peut y découvrir notamment un pin noir d'Autriche de 32 mètres de hauteur, un peuplier blanc et un amandier....
Ce jardin met à l'honneur les poètes et la poésie française. Des statues des grands auteurs ont été implantées le long des allées et, sur les pelouses, sont disséminées de nombreuses plaques gravées présentant chacune quelques vers choisis de poètes plus ou moins célèbres. On peut lire par exemple sur la plaque consacrée à Louis Aragon les quatre vers suivants :
Ô mois des floraisons mois des métamorphoses
Mai qui fut sans nuage et juin poignardé
Je n'oublierai jamais les lilas ni les roses
Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés
Photo D.Armanini |
Nous nous attardons dans la serre des 🔰orchidées, dont on peut admirer les corolles imitant habilement la forme d'un partenaire enviable aux yeux d''un insecte pollinisateur en mal d'amour.
On s'amuse du nom très peu latin perfidement donné à un magnifique cactus aux épines redoutables : le 🔰Coussin de Belle-Mère. Nous quittons l'espace des serres pour nous promener dans les alignements parfaitement symétriques d'allées bordées de massifs de fleurs diverses.
On a la surprise d'y trouver dissimulé un petit jardin japonais. Certaines plantes sont cultivées dans d'immenses 🔰vasques en fonte émaillée issues de la Manufacture nationale de Sèvres.
La cohabitation du Jardin des Serres et du stade de Roland Garros, dont on aperçoit la superstructure couverte du toit rétractable sur le court Suzanne Lenglen, a été très conflictuelle au cours des dernières années, les jardins voulant conserver leur emprise territoriale et Roland Garros voulant conquérir de nouveaux espaces.
Le tribunal administratif de Paris annule la délibération du Conseil de Paris qui prévoyait l'extension du stade en 2016. Mais, après arrêt du Conseil d'État, la suspension du permis de construire, décidée en référé par le tribunal administratif, est annulée. Le tribunal administratif de Paris rejette les recours des associations, et valide ainsi le permis de construire tout en permettant la reprise des travaux qui reprennent avec l'arrachage de plusieurs arbres du jardin protégé et le début des destructions sur les serres chaudes. Ces travaux d’extension de Roland-Garros s'achèveront en 2019.
Un peu de chemin de fer.
Il ne nous reste plus que quelques pas pour trouver le métro qui après une correspondance nous permettra de rejoindre la ligne du RER D où on trouvera fort heureusement des places assises relativement confortables pour rejoindre notre parking de base près de la station de Boussy Saint Antoine. Un grand merci à Marie et à Jean-Jacques pour la remarquable organisation de cette rando si bien documentée.
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